dimanche 1 janvier 2012

183. Agonies - J. Reynolds, A. Gélinas, P.-L. Lafrance

La Maison des viscères est une nouvelle maison d'éditions dédiée à l'horreur extrême. Agonies, un recueil de trois nouvelles originales, est le premier livre qu'elle publie.

Sam de Jonathan Reynolds. Samantha est toujours possédée par Robert qui fait d’elle une tueuse en série récalcitrante. Elle en a assez de cette vie, mais il semble qu’elle doive encore sévir, cette fois contre ses propres parents... Cette nouvelle est la suite -- pour un public averti, cette fois -- du roman jeunesse La Nuit du tueur paru aux éditions Z’Ailées. C’est un slasher pur et simple, une série B qu’il faut prendre au premier degré, sans plus. Après avoir offert au lecteur un prétexte au massacre (Samantha est possédée), vroum, c’est un départ ! L’histoire est négligeable, le style correct sans plus, mais on sent le tout le plaisir qu’a eu l’auteur à reprendre à son compte les tics les plus éculés de ce genre de littérature. Hélas, en raison de cette superficialité, la nouvelle ne parvient pas à être autre chose qu’un divertissement anodin. S’il y a dans des passages à l’écriture plus achevée, il faut garder à l’esprit que Reynolds n’est pas un styliste, c’est d’abord et avant tout un conteur. Cependant, avec la parution de La Mort de Vanessa Paradis, Jungleries et maintenant Sam, la prose de l’auteur a fait un sacré bond en avant, et il semble qu’il soit enfin prêt à se coltiner à des œuvres ayant plus de coffre. 5,5 / 10
                                                                                                                      
L’Amarante d’Ariane Gélinas. Charles ne se remet pas du suicide de sa fiancée. Un soir d’ivresse, il est invité à monter à bord de l’Amarante, un navire qui traverse le Charon et sur lequel il fait la rencontre de la troublante Lysane… Les premières pages d’Amarante sont parmi les plus réussies que j’aie lues de l’auteure : on retrouve ici le territoire feutré et atmosphérique où elle excelle. Après ce départ tout en finesse qui mène le lecteur, dans un climat empoisonné et lourd de mystères, de la détresse initiale du personnage principal jusqu’à l’embarquement de celui-ci sur le navire-enfer, la nouvelle devient plus statique.
À partir de ce point, le texte cesse de jouer sur nos attentes et devient plus ouvertement explicite. Il se transforme en une exposition par tableaux des turpitudes humaines, un musée de l’horreur dans lequel les personnages déambulent sans s’impliquer, fascinés par les visions dont ils sont les spectateurs… Le lecteur est alors promené au fil d’une fantaisie sexuelle franche (et comment, mes aïeux) aux accents sadomasochistes à la limite de ce qui est tolérable et grotesque – quoique tout ça reste assez conventionnel dans la représentation graphique et imaginative. Au final, la nouvelle ne convainc pas. Peut-être en raison des nombreuses références romanesques/mythiques/historiques qui renvoient le lecteur sur un très grand nombre de pistes et viennent embrouiller la lecture, ou à cause de la relative banalité des relations sadomasochistes entre l’artiste et l’Art. Tout ça a un parfum un peu victorien, en tous cas désuet. Malgré d’indéniables qualités d’écriture, Amarante est une nouvelle à laquelle ce lecteur-ci a eu peine à adhérer entièrement. 6,5 / 10

Baptême de sang de Pierre-Luc Lafrance. L’inspecteur Frédéric Boisclair enquête sur des meurtres horribles commis dans la ville de Québec. Le principal suspect est un agresseur bien connu, André Durand, aussitôt interrogé. Ça dégénère et l’enquête mène Boisclair aux portes de l’horreur et de la folie… Changement de registre complet avec cette histoire policière proche des enquêtes de la défunte série X-Files. C’est rondement mené, avec des personnages qui sont des archétypes de la littérature de genre sans en être des clichés. Cette nouvelle, la plus longue du recueil, est irréprochable. Ici, le gore est plus évoqué que montré, une esthétique différente des deux nouvelles précédentes où l’explicite prenait le pas. Par son économie de moyens, son style sans fioritures, son sens de l’action et son intérêt pour le développement des personnages, la prose de Lafrance rappelle l’écriture de Champetier. C’est, je l’ai dit, un texte efficace et irréprochable, et j’en aurais bien pris une seconde portion. 8 / 10

La Maison des viscères nous a fait un joli cadeau. Un petit livre, éclectique dans son essence, qui prouve que le gore est moins un genre littéraire qu’un regard posé sur l’horreur qui habite le monde. Trois textes différents qui illustrent un petit éventail de ses possibilités.

La démarche des deux éditeurs est super sympathique. D’autant que Frédéric Raymond et Alamo St-Jean, tous deux auteurs publiés, ont fait le choix de ne pas apparaître dans le premier ouvrage publié par la maison qu’ils ont fondée ensemble. Laisser la parole aux autres, c’est faire preuve de modestie. À une époque où le je-me-moi règne sans partage, c’est exemplaire… et c’est à souligner.

Cote 7 / 10

Lors du lancement d’Agonies à Montréal, Jonathan Reynolds a lu un extrait de Sam. L’auteur a un sens affirmé de la jubilation et il faudrait que chaque exemplaire d’Agonies vienne avec une copie de l’auteur pour en faire la lecture.


Agonies
Jonathan Reynolds, Ariane Gélinas, Pierre-Luc Lafrance
Maison des viscères, 2011
194 pages
18 $
...aussi disponible en version électronique à 8 $

8 commentaires:

Dominic Bellavance a dit…

J'ai bien hâte de le lire! Je l'aurais bien commencé la semaine dernière mais, déjà que j'étais pas trop dans l'esprit des fêtes cette année, ça ne m'aurait pas aidé.

richard tremblay a dit…

Je ne crois pas que regretteras ta lecture. C'est une bonne anthologie.

Gen a dit…

Autant de petits Jonathan, ça finirait par coûter chez de bière! ;)

Je l'ai seulement feuilletée pour le moment, mais moi aussi j'étais restée avec l'impression que le gore, comme le noir, c'est un regard qu'on pose, pas un genre à part entière... On verra comment la Maison s'en débrouillera...

richard tremblay a dit…

Gen : T'imagines ça un Jonathan à la maison, plus moyen d'écrire, on parlerait pis on rirait tout le temps !

M a dit…

Yé, le retour des critiques de l'Ermite!

Unknown a dit…

En fait, dans le projet original, chaque exemplaire du livre venait avec un auteur qui faisait la lecture au lit avant le dodo, mais ma blonde s'est opposé au projet.

richard tremblay a dit…

J'aurais aimé qu'Ariane vienne me border en me lisant certains passages assez culottés (ou déculottés, c'est le cas de le dire) de sa nouvelle :-)

Ariane Gélinas a dit…

Richard : Héhé ! Je vais dire comme Pierre-Luc : mon chum s'est opposé au projet ;)